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 Le voyageur immobile en Irlande

extraits - (suite)

Textes et photos © Jack Harris

Et qui sait si, un jour, ces histoires ne feront pas partie des célèbres légendes irlandaises.

 

 

Trentième voyage


Je me laisse bercer par les flots limoneux
Après avoir connus des rêves merveilleux
Qui m'ont porté très loin dans un monde enchanté;
Mais comme j'étais bien dans l'irréalité !....
Je retourne au présent, pour mon plus grand malheur,
C'en est fini des pubs qui firent mon bonheur,
Terminé les errances à travers la campagne,
De même que les villes où, avec ma compagne,
Nous avons fricoté, un peu, à l'occasion
Avant de nous quitter. Vain dieu !... que c'était bon.
Je m'en vais regretter les soirs où, solitaire,
Je restais à penser en ne sachant que faire
Dans l'attente de voir un tout petit lutin
M'inviter à le suivre, avec un air malin.
Oh!.. tant de souvenirs ancrés dans ma mémoire
Exigeront qu'un jour je rédige une histoire
Oui mais dans l'immédiat je pense à mon futur
Qui sans un Lepréchaun m'apparaît bien obscur.
L'avenir qui m'attend sera mélancolique
Devant me contenter que d'une vie classique
Dénuée de surprise, de tout étonnement
Tout sera triste alors sans le moindre piment.
J'étais habitué aux lutins colériques
Qui me jouaient des tours quelquefois diaboliques
Au point de sursauter, d'être pris de terreur
Qui me faisaient frémir et emballaient mon cœur.
Quand je sentais en moi monter l'adrénaline
C'était dû au contact avec ma sauvagine
Qui brouillait mon esprit à la moindre occasion
Avant de s'évanouir d'une étrange façon.
Usant de sa prestance elle avait tant de charme
Que mes yeux, très souvent, ont versé une larme
En me retrouvant seul, tout comme en cet instant,
Où je suis malheureux, d'un état affligeant.
Il y a moins d'une heure où, encore à  Rosslare,
Me trouvant sur un quai, debout, près d'une amarre
Il restait peu de temps avant que d'embarquer
A bord de l'Oscar Wilde, aux fins d'appareiller.
Lorsque ayant regagné ma petite cabine
J'étais loin de trouver, comme on se l'imagine,
Ma couchette occupée par un corps féminin
Qui m'attira vers lui en me prenant la main.
Mon sang ne fit qu'un tour évacuant ma peine
Puis je réalisais avoir beaucoup de veine
Que soit à mes côtés pour finir le trajet
Ce être qui du coup, balaya tout regret.
Oui elle était bien là ma petite irlandaise
Pour regagner la France et, ne vous en déplaise,
Durant tout le voyage, en parfait amoureux,
Je pourrai me mirer au fond de ses beaux yeux.
Je laisserai mes mains fouiller sa chevelure
Avant que de laisser s'exprimer la nature
Au jeu des corps à corps en de furieux ébats
Tout au long d'une nuit qui n'en finira pas.
Ainsi je me livrai par une accoutumance
Sans garder à l'esprit la moindre prévoyance
Pourtant l'expérience aurait dû m'avertir
Pour ne pas, par la suite, avoir à en souffrir.
L'Oscar Wilde, lui-même, au cœur d'une tempête
Eut beau me secouer, je n'en fis qu'à ma tête
Je m'étais enfermé dans mon imaginaire
Blotti corps contre corps avec ma partenaire.
La sirène pourtant mis fin à mon bonheur
Et je me réveillai présageant un malheur.
J'étais seul, secoué, à travers la cabine
Mais pouvais voir toujours la bouche si coquine
De ma belle irlandaise avec ses cheveux roux,
Ses cheveux si soyeux que je trouvais si doux.

 

 

Pour conclure

 

Dans cet ouvrage j'ai donné libre cours à certains de mes rêves, vous permettant ainsi de pénétrer dans mon intimité. Je suis un vieux poète fatigué de la vie, mais qui a réussi à retrouver une petite pointe de jeunesse de caractère grâce aux voyages qu'il me fut possible d'effectuer en Irlande, une terre que j'affectionne particulièrement en raison de l'accueil qui me fut réservé par les habitants que j'ai côtoyés à chacun de mes séjours, mais encore grâce à la splendeur de ses paysages, à la beauté que savent offrir les petits villages, aux impressions de paix et de liberté dans lesquelles se trouve plongé le visiteur.

 

Qui ne connaît pas l'Irlande ne peut savoir ce qu'est le véritable bonheur. Que l'on se trouve en bord de mer, en plaine, ou en montagne l'on est placé devant de magnifiques décors qui laissent de très nombreuses empreintes dans notre esprit. Tout y est beau, rutilant, il y a tant de choses à découvrir, tant de lieux à visiter et cela que nous soyons au nord, au sud, à l'est comme à l'ouest, l'Irlande est un musée vivant auquel il convient de s'y intéresser.

 

Pour le poète, l'Irlande est une terre d'inspiration, il est de même pour tout artiste peintre, tout musicien, puisqu'il suffit tout simplement de capter; puis de transcrire ce que nous révèle le silence, car le silence parle à qui sait l'écouter. Il ne suffit pas de prendre une photo en se disant "C'était pas mal, je vais garder cette image en guise de souvenir du passage que j'ai fait le...", agir de la sorte n'a aucune valeur, pour que notre âme puisse s'identifier au pays. Il convient d'en toucher les pierres, chercher à les comprendre, à découvrir leur lointain passé. De même que les fleurs, les plantes, les animaux, nous parlent, c'est à nous d'entendre et de comprendre leurs paroles. L'Irlande est un pays spécial, un pays mythique, un pays magique comme je n'en ai jamais connu lors de mes multiples voyages à travers le monde. D'où la nécessité de rester à l'écoute de façon permanente si nous voulons progresser moralement.

 

Je ferai sans aucun doute, encore de nombreux rêves, d'autant plus que je n'aurai guère de chance de revenir en raison de ma santé défaillante ainsi que de mes moyens financiers qui sont plus que limités. Il me suffit d'écouter un peu de musique, de m'installer de manière confortable dans un fauteuil, puis de fermer les yeux pour aussitôt me retrouver sur les routes tourmentées qui traversent chacun des comtés. En fin de compte, l'Irlande, ma chère Irlande, demeurera vivante à jamais dans mon cœur, et je forme le vœu afin qu'il en soit de même pour vous.
 

 

Vingt et unième voyage

 

Ce fut un ouragan qui vint se secouer
Alors que j'étais, là, en train de sommeiller.
"– Que fais-tu mon garçon ? Ici n'est pas ta place
Regarde-toi un peu !... Pouah !... tu pues la vinasse !...
Tu devrais avoir honte !... être dans cet état
N'est pas digne d'un homme. A voir le résultat
Je me doute qu'hier, dans le pub, la bière
A coulé plus qu'à flot. C'est pas une manière
De terminer la nuit allongé sur le flanc,
Allons, lève-toi vite et quitte moi ce banc !..."

Sur ce, j'ouvris les yeux mais je ne vis personne
Pourtant, la voix perçue, non d'un petit bonhomme
Etait autoritaire et avait un accent
Parfaitement français, d'où mon étonnement.
Je lançais un regard circulaire à la ronde
Mais rien autour de moi, j'étais seul en ce monde

Assis sur des cailloux, entouré de moutons
Tandis que dans le ciel s'ébattaient deux faucons.
Que s'était-il passé hier, dans la soirée,
Hélas! mes souvenirs n'étaient plus que fumée
Je sentis pourtant bien que ma gueule de bois
N'était pas sans raison et me laissait pantois
Car j'avais sûrement bu plus que de coutume
Au point d'avoir souillé ma veste de costume.
Qui m'avait amené sur ce terrain en pente ?
Qui m'avait déposé de façon évidente
En ce lieu solitaire au milieu de la nuit
Sans même m'éveiller et sans le moindre bruit ?
Je sais que j'ai parfois quelques trous de mémoire
Mais cela n'est pas dû au fait de trop boire
Dès lors, qu'en général, l'eau me sert de boisson
N'ayant pas pour l'alcool une grande passion.
Là ce fut différent. Etais-je à une fête
Qu'au point d'en arriver à me tourner la tête
J'ai forcé sur la bière ou alors le whisky ?
A moins que ce ne fut peut-être du brandy !...
Ce qui m'étonnerait, je n'en bois pas en France
Alors en boire ici serait de l'arrogance
Mieux vaut de la Guiness pour flatter le palais
Nul me démentira, surtout un irlandais.
J'ai beau fouiller partout, mon esprit me torture
Car je ne parviens pas à trouver l'ouverture

Afin de réveiller le moindre souvenir
Sur ce qui s'est produit avant de m'endormir.
Cette fois, il est clair, je suis dans le cirage,
Au plus profond de moi je tempête, j'enrage,
Quel mal mystérieux sur moi s'est abattu ?
Par quel mauvais génie me voilà dépourvu
Du précieux souvenir qui m'est indispensable
Pour remonter le cours de ce fait mémorable.
Se perdre en conjoncture égare la raison
Je dois pourtant trouver la juste solution
Oui mais si c'est un sort que quelqu'un m'a jeté
Il faut d'abord savoir ce qui l'y a poussé.
Est-ce un amant jaloux qui ivre de fureur
A voulu se venger sans la moindre douceur
Pour m'avoir vu tourner autour de sa maîtresse 
Ou bien un magicien qui soudain pris d'ivresse
A voulu démontrer à d'autres son talent
En m'envoyant au loin, ainsi, impunément.
"– Je vois mon grand garçon combien je te torture
C'est à moi que tu dois d'être dans la pâture
Puisque tu n'as pas su te montrer très gentil
Quand tu m'a ignoré, préférant ton nombril.
J'ai beau être petit, pas plus haut que ton pouce
Je n'aime vraiment pas que quelqu'un me courrouce,
Sans avoir à subir en retour la sanction
D'un vil désagrément servant de punition."

"– Mais grand dieu qu'ai-je fait pour te mettre en colère
Dis-moi au moins pourquoi; car, là, je considère
Que tu es très méchant pour un petit lutin,
M'avoir joué ce tour ce n'était pas malin.
J'avais jusqu'à cette heure ignoré ta présence
D'ailleurs, sur les lutins, j'avais l'inexpérience,
Car cela relevait tout droit de l'irréel
D'une pure invention dans le surnaturel."
"– Grand bonhomme qui a une petite tête
Tu t'es conduit fort mal au cours de cette fête
Tu n'avais d'yeux que pour les belles irlandaises
Qui dansaient en cadence. Ah!... maudites punaises
Que sont toutes ces femmes hypnotisant chaque homme
A tel point qu'il envie de croquer dans la pomme.
Tu as baissé ta garde et sans faire attention
Tu faillis m'écraser, oui, sacré non de non !...
A suivre la musique de façon remarquable
Tu as taper du poing sur le coin de la table,
Le coup était si fort que tel un lance-pierre
Je devins propulsé sur le bord de ton verre.
Heureusement pour moi, j'ai pu me raccrocher
Mais lorsque tu as bu, tu manquas d'avaler
Ma très chère personne en dégustant ta bière
Ce qui est, conviens-en, pas de bonne manière.
Je me voyais déjà au bord de mon tombeau
Et ne dois mon salut qu'à un dernier sursaut

Je me suis accroché aux poils de ta moustache
Envahie par la mousse;il fallut que je crache
Pour ne pas avaler cette affreuse boisson
Que tu apprécies tant, selon mon opinion.
J'avais beau appeler, crier à perdre haleine
Tu ne m'entendais pas. Jugeant la coupe pleine
J'ai donc contre mon gré dû te jeter un sort,
Peut-être eus-je raison, où alors ai-je eu tort."

"– Pauvre petit lutin, tu me fais de la peine,
Il est heureux pour toi d'avoir eu de la veine,
J'étais trop occupé pour t'avoir entendu
Si je t'avais gobé je m'en serais voulu.
Alors pardonne-moi, je ne sais plus que faire
Je me retrouve là, privé de tout repère ?"
"– Rassure-toi mon grand, je veille à ton retour
Je t'avais amené à Killary Harbour
Là-bas, sur l'autre rive, aperçois-tu Leenane ?
C'est là que nous étions avant notre chicane.
Je vais te reconduire, alors, ferme les yeux
Quand tu les rouvriras tu te sentiras mieux."

 

Onzième voyage

 

Oui, quelle était jolie ma petite irlandaise
Avec ses cheveux roux et puis ses yeux de braise.
Je restai mortifié, demeurai incertain,
Ce qui s'était produit n'était pas très humain.
Me trouver confronté à semblable déveine
Me laissait dans le cœur une profonde peine
Qui brisait ma raison, entraînait mon esprit
A penser qu'il était tombé en discrédit.
Je décidai alors d'aller prendre une douche
Plutôt que rester là, sur le bord de ma couche
Furieux et dépité. Je m'estimai maudit, 
Transformé par le sort, oui, muté en proscrit
Qui se voit condamné à subir le martyre
En écoutant la voix, qu'accompagne la lyre,
De la belle irlandaise qui a séduit mon cœur
Et m'a fait espérer découvrir le bonheur.
Je me sentis floué comme un pauvre imbécile
Puis, à reprendre pied, me semblait difficile
Hanté par le visage qui n'en finissait plus
De paraître à mes yeux en me laissant confus.
Le contact de l'eau coulant sur ma peau moite
M'amena à penser de façon plus adroite
En admettant, enfin, que rien n'était réel,
Ce rêve, en vérité, était artificiel.
Je fis beaucoup d'efforts afin de me convaincre
Or il est des pensées difficiles à vaincre
Aussi, à chaque fois, croyant y parvenir
Arrivé près du but je poussai un soupir
J'avais devant les yeux le souriant visage
De ma belle irlandaise alimentant ma rage
Puisque cela tournait vraiment à l'obsession
C'est pourquoi je dus prendre alors la décision
D'aller à l'extérieur et faire un peu de marche.
Ce qui se révéla une heureuse démarche
Quelques instants plus tard je flânais dans Dublin
Sans le moindre souci pour trouver mon chemin.
J'étais souvent venu dans cette grande ville
Et dans ses environs. Je me sentis tranquille
Marchant sur le trottoir à travers Grafton Street
Avant de m'engager à gauche sur Suffolk Street.
Je croisai des passants esquissant un sourire
Comme s'ils avaient pu deviner mon délire.

Sur mes pas je laissais des commerces prospères
Par l'afflux de clients aux manières légères
Qui entraient, ressortaient se perdre dans la rue.
Je me sentis noyé à travers la cohue
J'étouffai, mes poumons ne recevaient plus d'air
Puis, tout se déroula l'espace d'un éclair,
Je tombai sur le sol, totalement inerte:
C'est là que bien des gens pensèrent à ma perte.
"Mais qu'à donc ce pauvre homme je l'ai vu s'écrouler
En faisant un grand bruit ?"
J'entendis s'écrier
Au milieu de la foule une voix féminine.
"Ecartez-vous de lui il faut que j'examine
Si il n'a plus de pouls où s'il respire toujours
Allez, n'attendez pas, prévenez les secours !..."

J'étais, comme l'on dit, plongé dans le cirage
Et me voyais assis au centre d'un nuage
Qui, poussé par le vent à l'esprit turlupin
Filant vers le sud-ouest s'éloigna de Dublin.
Dans ce fou tourbillon je me sentis l'otage
D'une force inconnue, et puissante, et sauvage,
Je ne pus pas lutter privé de tout ressort
A tel point que je crus, un instant être mort.
Ce n'était pas le cas car je vis un visage
Qui s'avança vers moi, comme dans un mirage
Mon cœur eut un sursaut qui me rendit l'espoir
Elle était devant moi, oui, je pouvais la voir

Tudieu!... qu'elle était belle ma petite irlandaise
Avec ses cheveux roux et ses grands yeux de braise,
Qui vint placer sa main juste sous mon chandail
Pour masser doucement mon cœur et mon poitrail.
Elle accola ses lèvres à ma bouche encore close
A cet instant précis, ce fut l'apothéose
Je goûtai son baiser, sucré comme le miel,
Mais je voulais bien plus qu'un baiser passionnel.
J'avais tant de désir contenu dans mon être
Qu'il me fallait agir afin de le soumettre,
A l'appel de l'amour, il en avait le droit,
Or voulant la saisir je fus très maladroit
J'enserrai de nouveau dans mes bras un fantôme
Qui soudain disparut, sans que le moindre atome
Ne reste dans mes doigts, ou au creux de mes mains,
Prédisant de ce fait de tristes lendemains.

 

Si vous prenez un taxi la nuit, méfiez-vous du chauffeur surtout si le temps est à la pluie et que la voiture tombe en panne. 

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